Les durées exposées

2010 – durées, signalétique

Des durées sont exposées.
Sur la porte extérieure, un calendrier liste les heures d’expositions.
À l’intérieur est indiquée la durée en cours.

77 durées d’exposition allant de 1 à 77 minutes.
77 plages de temps « pur ».
77 invitations à faire l’expérience de la durée.


Du 7 au 29 mai 2010*
Ancienne Église des Trinitaires – Metz

A l’invitation de la galerie Octave Cowbell.
Avec le soutien de la DRAC Lorraine, du Conseil Régional de Lorraine, du Conseil Général de la Moselle et de la Ville de Metz.

Calendrier des durées exposées :

LES DURÉES EXPOSÉES

77 durées d’exposition allant de 1 à 77 minutes

Le titre de cette œuvre pensée par Vincent Delmas pour l’église désacralisée des Trinitaires à Metz est explicite. Il décrit exactement ce que le public est invité à expérimenter : des durées. Soit des périodes variables de temps « pur ».

Le dispositif est simple et efficace : sur le temps d’ouverture potentiel de l’exposition, l’artiste a défini 77 plages de visites durant entre 1 et 77 minutes et débutant chaque jour, à heure pile, entre 14h et 19h. 77 possibilités donc de faire l’expérience de « la » durée, ou plutôt d’ »une » durée particulière et unique. Entre ces périodes – et ce d’une manière classique – l’exposition est fermée. Rien à voir ? Sur la porte close, le calendrier des ouvertures qui décline la liste exhaustive des durées proposées est aussi et en lui-même œuvre. Cette dernière est donc formalisée deux fois : à l’extérieur, en une série de chiffres reprenant l’intégralité des durées exposées ; à l’intérieur, en une des 77 séquences vidéo indiquant la durée en cours. L’œuvre coïncide ainsi exactement avec son exposition qui est, d’une certaine manière, son sujet d’expérimentation. Mais son objet reste le temps, la seule des quatre dimensions de notre univers à être non matérielle ; celle qui ouvre, toujours et encore, des gouffres sous les pieds des philosophes et des scientifiques qui s’y collent. La célèbre définition de Saint Augustin semble destinée à rester d’actualité : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. » (Confessions, XI, 14) À l’intérieur de l’église, un écran où s’affichent des temps : celui de l’œuvre et celui de notre présence potentielle, désirée ou tout simplement tolérée. Habituellement, la durée d’une exposition est limitée par les jours et horaires d’ouverture ; la durée de visite par le temps que chacun décide de lui consacrer. Ici c’est l’exposition qui dicte les jours et horaires d’ouverture et qui impose son propre timing au visiteur. Les contraintes temporelles sont donc inversées pour nous permettre d’appréhender l’idée de durée dégagée de tout élément factuel, pour distinguer le processus (la succession non interrompue de moments) du mécanisme horloger qui n’en est qu’une représentation. Chaque durée d’ouverture est ainsi à apprécier pour ce qu’elle est : une plage de temps « pur » arrachée à notre quotidien et à ses activités, qu’elles relèvent des obligations ou des loisirs. On a tous en tête le schéma de l’histoire de l’univers rapportée sur une année (le Calendrier cosmique de Carl Sagan) où l’apparition de l’homo sapiens n’est relevée que le 31 décembre à 23h56. La question du temps n’est pas nouvelle ; c’est une affaire qui dure et qui risque de nous occuper encore longtemps. Elle était de nouveau à l’honneur à la Biennale de Lyon 2005 avec « L’expérience de la durée ». Mais l’intérêt des commissaires (et donc des artistes) se portait principalement sur le temps comme « matériau de construction », « modification des vitesses de passage des formes, pauses, mises en boucle, différés, synchronisations, ralentis ou accélérés (…) ». Plus proche de l’intérêt de Vincent Delmas, le lapidaire Time (1968), une simple intervention orale en forme d’invitation à la discussion de Ian Wilson ou One Million Years (Past) (1970) de On Kawara, composé de dix volumes répertoriant un million d’années (de 998 031 avant JC à 1969 après JC) et dédié à « All those who have lived and died ». On est alors au cœur du sujet, dans une réflexion intellectuelle et universelle d’où émerge une expérience sensible et individuelle. La durée devient « palpable ». Et si la croyance en l’immortalité de l’art a déjà été largement malmenée, il n’est pas inutile de s’y attaquer encore une fois, même au prix d’un paradoxe. Les durées exposées ici ne sont pas faites pour durer : annoncée d’emblée, leur date de péremption leur octroie une espérance de vie particulièrement courte… Avec ces durées exposées, Vincent Delmas nous offre donc de nous arrêter quelques instants, non pour observer l’écoulement du temps lui-même, mais pour apprécier les durées qu’il génère. Invitation à la pause.

Eléonore Jacquiau Chamska

* A propos du contexte : lire l’article de Marc Lenot (lunettesrouges.blog.lemonde.fr)