BIO

Né en 1975 à Clermont-Ferrand
Étudiant en Physique (Clermont-Fd) puis en Art (Münster, Allemagne)
Vit et travaille à Paris Metz

MEMENTO MORI - 1975-2021

Projections / expositions / spectacles (1998-2007) :

Les Abattoirs (Toulouse) ; Galerie Action Art Actuel (St-Jean) ; Artists Space (New York) ; Cinémathèque Québécoise (Montréal) ; Cité des Sciences (Paris) ; Daïmôn (Ottawa) ; In Phase (Lyon) ; La Méduse (Québec) ; Saw video (Ottawa) ; Galerie Séquence (Chicoutimi) ; Transat Vidéo (Caen) ; Trans Musicales (Rennes) ; Tranz-tech (Toronto) ; Traverse Vidéo (Toulouse) ; Universités d’Auvergne et Blaise Pascal (Clermont-Ferrand) ; Vidéoformes (Clermont-Ferrand) ; Espace Vidéographe (Montréal) ; Yzeurespace (Yzeure), etc.

Production principalement anonyme, sous pseudonymes ou pour le compte des autres, depuis 2008, quasi intégralement depuis 2014

Rares expositions sous mon nom (depuis 2008) :

10 artistes, 10 chambres – HotelF1 – Paris Marne-la-Vallée (2008) ; Une nuit / Eine Nacht – Castel Coucou – Forbach (2009) ; J’ai un doute – Nuit Blanche – Metz (2009) ; Les durées exposées – Ancienne Église des Trinitaires – Metz (2010) ; Sans titre – Commande pour l’espace public – Luxembourg (2011) ; Le temps est invention ou il n’est rien du tout – Galerie Octave Cowbell – Metz (2012) ; Transfert de Fonds – Galerie NaMiMa, École Nationale Supérieure d’Art – Nancy (2014) ; L’Heure qu’il est – CACY, Centre d’Art Contemporain – Yverdon-les-Bains (2015) ; A la poursuite du temps – Galerie du Théâtre, Espace d’art contemporain – Privas (2016) ; Discard - La Plate-Forme – Dunkerque (2019) ; Perdus ensemble dans l’espace et le temps infinis – Ancienne Église des Trinitaires – Metz (2021)

Aide Individuelle à la Création, Drac Lorraine, 2014
Aide à la recherche et à la création – Arts visuels, Région Grand Est, 2020

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↓↓↓ Les 3 textes ci-dessous ont été publiés en 2021 à l’occasion de l’exposition Perdus ensemble dans l’espace et le temps infinis.

Anne Delrez dirige La Conserverie, un lieu d’archive qu’elle a créé.
Elia Biezunski est commissaire d’exposition, chargée de recherche, au Centre Pompidou-Metz.
Arnaud Dejeammes est auteur, théoricien de l’art.

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Vincent Delmas documente la vie, sa vie, la mienne. Il est une fine épaisseur de mémoire, la sienne, la mienne, la nôtre. Il trace, il crée une empreinte qui, dans le même geste, révèle des strates préexistantes. Comme parfois, une pluie après son passage découvre un nouveau paysage, une nouvelle perception de ce qui était déjà là. Des couches de sédiments, substance complexe constituée de la matérialité du temps. Vincent joue du temps, du sien, du mien, du nôtre. De cette durée qui s’effrite chaque jour un peu et de ces petits morceaux dramatiquement définitivement perdus, il fait des constructions savantes et souvent drôles. Converser avec Vincent c’est aussi voir surgir des dates, des heures, des chiffres qui deviennent phrases émouvantes et poétiques.

Inviter Vincent Delmas à exposer c’est un peu comme tirer sur une chevillette et avoir le grand plaisir de pouvoir observer une mécanique de pensée se mettre en mouvement, tel un système très élaboré de rouages de toutes tailles, de poulies démultipliant la puissance, de matériaux de différentes matières, qui par la suite sera soustrait au regard, pour ne montrer que des objets à l’apparence simple voire manufacturés.

Il y a quelque chose de jubilatoire dans la compréhension de son travail. Dans le cheminement de l’idée vers une forme. Dans la liberté d’appropriation du monde qu’il propose, dans cette façon de mettre en place un espace où semblent fourmiller des centaines d’instants et derrières eux des centaines de personnes, invités à entrer en scène, le temps d’un passage d’étoile filante dans le ciel et à repartir dans le noir. Et, peut-être lors d’une prochaine liste, un prochain inventaire, être à nouveau invités.

Anne Delrez, août 2021

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Les parts visibles, immergées et latentes de l’œuvre de Vincent Delmas

La part visible de l’œuvre de Vincent Delmas est aisément identifiable. Archivées sur son site internet, ses installations et vidéos ont été exposées dans des expositions personnelles et collectives.

La part immergée est pourtant la plus vaste – anonyme, créée sous pseudonymes et hétéronymes, secrète, elle rappelle la mise en fiction de l’artiste poussée à l’extrême par Marcel Duchamp ou en littérature par Fernando Pessoa dont le nom même, qui signifie « personne, n’importe qui » en portugais, porte la vacuité et la négation de l’auteur. Un versant de l’œuvre de Vincent Delmas reste ainsi fantôme, inconnu, insaisissable, et propose une vision nécessairement fragmentaire de la création. Un autre pan existe encore, qui n’est pas invisible mais latent. Ici ce n’est plus seulement l’auteur, mais l’œuvre qui devient fiction, création en puissance. Cette partie de l’œuvre est « la souterraine, l’interminablement héroïque, la sans pareille » pour reprendre la savoureuse description que Jorge Luis Borges donne de l’œuvre aussi absurde que géniale d’un de ses personnages mythique, Pierre Ménard, qui entreprend de réécrire deux chapitres du Quichotte sans le recopier mais en rédigeant un texte identique à partir de sa propre expérience. Tel Pierre Ménard, Vincent Delmas travaille dans l’ombre à provoquer des déplacements de contexte et de significations à travers une exploration quasi obsessionnelle des notions de date, heure, signature et espace. Ses investigations donnent lieu à de longues listes d’intentions, à de multiples collectes susceptibles de se traduire en une production d’œuvres ou de demeurer à l’état de projet existant seulement pour l’artiste et quelques initiés.

Ces œuvres possibles ont longtemps résisté à l’expression, à la signature, à la responsabilité et à la propriété de l’auteur, à la production comme aux exigences de la productivité, à la fonction sociale de l’œuvre livrée au public et à la critique, à la réification qui arrime le champ des possibles et l’imaginaire à une forme physique. Les recherches de Vincent Delmas, minutieuses, interminables, sont parfois développées durant des années à la faveur de la mise en suspens de l’achèvement de l’œuvre. Ce « désoeuvrement », au sens que lui donne le philosophe Giorgio Agamben1, n’est pas oisiveté ou inertie mais praxis (activité) qui désactive tout usage utilitaire ou pré-déterminé des modes d’expression pour les ouvrir « à un nouvel usage possible ».

Les œuvres qui émanent de ce processus au long cours conservent la trace de cette disposition d’esprit, de ses bifurcations et s’intègrent à cette démarche ininterrompue. Les 3 minutes d’avance pour l’éternité déplacent par exemple la question de l’horloge de Notre-Dame et son utilité vers une réflexion philosophique et l’ouverture d’une discussion inachevée faisant intervenir différents points de vue sur la relativité du décompte du temps, la conservation historique d’un objet dans sa singularité, la place accordée à l’erreur, la notion de vérité etc. La trace de la part immergée de l’œuvre et l’espace ménagé à de possibles développements futurs activent, dans les créations de Vincent Delmas, une tension féconde pour la pensée qu’Agamben prête à «  tout processus créatif authentique, intimement suspendu entre deux poussées contradictoires : élan et résistance, inspiration et critique.2 »

Elia Biezunski

1 Giorgio Agamben, « Qu’est-ce que l’acte de création ? », Le feu et le récit, Ed. Payot & Rivages, 2018 (première édition 2014), p. 53-86.
2 Ibidem, p. 68.

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Une horloge est une horloge est une horloge…

S’inscrivant dans le réel, les objets techniques qui nous entourent finissent invariablement par porter les « marques du temps », même si la continuité de leur processus d’usure ne s’observe pas toujours à l’œil nu. Nous ne pouvons qu’en constater l’évolution… « avec le temps », justement, un moment servant de repère à un autre : un livre ou un téléphone portable neuf en comparaison aux pages jaunies ou l’écran rayé, etc. A l’instar de n’importe quel outil, ceux qui indiquent le temps vieillissent aussi. Toutefois, ceux-ci affichent le temps qui « s’écoule » à mesure qu’il « s’écoule » à travers eux. Leur numération transcrit le passage des états de la matière qui les compose et qui se renouvelle sans cesse, c’est-à-dire qui se crée et périt en permanence. Cette indication reste une imitation approximative, et donc avant tout une convention. A l’image des êtres humains qui les ont conçues, les « horloges » (entendues ici comme l’ensemble des instruments qui scandent la durée) s’évertuent cependant à reproduire un phénomène dont elles peinent à rendre compte : tautologiques en cela, elles « redisent » ce qu’il leur arrive effectivement lorsqu’elles traversent l’étendue temporelle. L’origine grecque du terme, hôro-logion, ne suggère d’ailleurs pas autre chose, puisqu’il signifie littéralement « ce qui dit l’heure ». Les horloges ordonnent un continuum de façon ostensible  : en sachant que le mot n’est – presque jamais – ce qu’il désigne, elles énoncent simplement ce qui est.

Il y a, dans les œuvres de Vincent Delmas, une inclination infuse à la tautologie. Ou, pour le formuler plus précisément, à pointer et à réagencer les mécanismes de l’évidence. Celles qui font du temps leur sujet et leur matériau fonctionnent de manière similaire aux horloges : elles disent le temps, ni plus, ni moins, à la différence près que l’artiste joue avec les limites qu’impose la convention. Son Horloge parlante, qui étend la prononciation de l’heure qu’il est (pour rappel, celle-ci se détermine par rapport à l’attribution du temps universel dans un fuseau horaire donné, quelle que soit la position occupée au sein de ce dernier) sur le temps de sa propre existence officielle (chaque heure – « qu’il est » – de la journée dure une minute). Quelques années plus tôt, à l’intérieur du même lieu d’exposition qu’aujourd’hui, Vincent Delmas montrait Les durées exposées : déterminant les temps d’ouverture de l’église des Trinitaires, elles n’affichaient rien d’autre que l’expression d’un intervalle temporel en cours.

Vincent Delmas se contente souvent de recycler et de corriger des objets communs, concrets ou abstraits, déjà présents. Il leur applique une logique pointilleuse découlant des propres mécanismes de leurs champs d’emprunts. Il n’en va pas autrement pour ses œuvres qui s’appuient sur des formulations du temps se voulant exactes. Avec 3 minutes d’avance pour l’éternité, l’artiste soulève une question de conservation patrimoniale qui aurait pu passer inaperçue. La pièce vient pourtant poser un dilemme crucial, dont l’Histoire aura à porter le sens  : le projet de restauration de la cathédrale de NotreDame de Paris doit-il conserver le décalage entre les deux horloges du transept occidental, à l’arrêt depuis l’incendie dévastateur récent de l’édifice, ou doit-il les remettre à l’heure – « qu’il est » –, supprimant le retard et l’avance de l’une comparée à l’autre ?

Les œuvres de Vincent Delmas peuvent parfois donner l’impression de déformer le temps : elle se bornent au contraire à en éprouver l’idée que nous nous en faisons.

Arnaud Dejeammes

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Portrait dans le catalogue Une décennie (Octave Cowbell), 2012.
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